Lentement, je ferme les yeux. Je laisse un long soupir passer mes lèvres, sautillant d’un pied à l’autre pendant quelques secondes, me stoppant net. Se mettre dans l’ambiance, avec tous ces sons autours, ce n’est pas toujours évident. Essayer de créer une chorégraphie sans être capable de se concentrer, ça aussi, ce n’est pas évident. J’ouvre une nouvelle fois les yeux pour tomber sur mon reflet, le bout de mon nez se fronçant. Ce que j’ai l’air exténué. En même temps, avec la chaleur insupportable et les deux dernières heures que je viens de passer à danser, je crois que ça mériterait une pause. Et pourtant, je ne démords pas. Je ne sortirais pas de cette salle sans avoir terminé ce segment, voir même sans avoir terminé la séquence complète. Borné? Juste un peu. Lorsqu’il s’agissait de danse, je devenais maniaque. Si pointilleux. Je pouvais répéter le même mouvement des milliers de fois si je n’arrivais pas à le faire correctement. Le souci du détail, de la précision, de la perfection. Personne n’est parfait, et pourtant, c’est ce que je recherchais. La perfection. La performance parfaite. Et si je créais cette chorégraphie pour le plaisir, je gardais en tête qu’elle pourrait facilement m’ouvrir des portes vers quelque chose de plus grandiose, si seulement je me laissais la chance. Si seulement.

La musique se lance une nouvelle fois, en boucle. Mon corps se met, lui aussi, en mouvement. J’embrasse du mieux possible la mélodie, je laisse mon être tout entier onduler au rythme de la chanson. Sur mes lèvres se lisent les paroles, que je connais maintenant par cœur. Sur mon visage se lit l’incompréhension, le néant total. J’ai beau connaître la mélodie sur le bout de mes doigts, je n’arrive pas à enchaîner les mouvements. Je n’arrive pas à trouver la suite logique, à trouver les prochains mouvements qui rendraient cette séquence si parfaite, si fluide. Et ça me frustre au plus haut point. Je donne un coup de pied dans le vide, traînant les pieds jusqu’au miroir devant moi, me penchant pour attraper ma bouteille d’eau, en avalant la moitié. J’attrape mon portable, fermant la musique, poussant un long soupir. Mes sourcils se froncent une nouvelle fois, relevant la tête. J’ai rêvé ou j’ai vu une ombre dans le miroir, en tournant les talons. Mon regard parcourt la salle, s’arrêtant sur la porte entrebâillée. J’aurais juré l’avoir fermée en entrant. Je me redresse, marchant doucement vers la porte, l’ouvrant rapidement. Mes yeux s’écarquillent, je fais un pas vers l’arrière. « Qu’est-ce que tu fiches ici, Chungsu?! » C’est pas vrai, pas encore. Quand apprendra-t-il la définition des mots « espace personnel » et « intimité »?

L'année dernière, quand j'étais encore au lycée, j'arrêtais pas de traîner sur Youtube pour chercher des bonnes chorés à faire. Pas que j'en avais marre de celles dans High School Musical ou de Sexy Dance mais à chaque fois ils sont 1 millions dans leurs chorés et ça rend vachement moins cool tout seul quoi. Du coup j'ai commencé à aller sur Youtube pour chercher des trucs canons sur des chansons de Miley Cyrus et Selena Gomez et un jour pas hasard, j'suis tombé sur une vidéo genre... trop top méga cool de la life comme jamais j'avais vu un truc cool quoi. Un mec qui faisait une choré trop trop trop stylée. Bon, c'était pas du Miley ni du Selena mais franchement, il était tellement classe le gars que j'ai regardé jusqu'à la fin et qu'après, j'ai maté toutes ses autres vidéos parce que sans déconner, j'en avais plein les noeils quoi. Ce mec c'est Baek Yael. Et je le vénère en mode profondeur de mon être suprême.

J'suis allé à Yonsei parce que j'ai vu dans la brochure que y'avait plein de meufs trop bonnes là bas (et j'ai bien fait parce que effectivement, y'a que des putain de méga canons de la mort ici c'est un truc de ouf, surtout Reeva 'tain...) et aussi parce qu'on m'a dit que le club de danse il était topissime (là aussi c'était pas du mytho). Le problème, c'est que j'suis trop un BG et que j'ai direct été recruté comme mascotte de ma frat', les Gumi quand ils ont vu comment j'étais trop balèze en salto, en galipette et en galoche. Et comme j'suis mascotte... Bah j'peux pas m'inscrire au club de danse. Du coup, comme j'connais bien le prez, je m’incruste en mode ninja pendant les cours l'air de rien et IlSu (le patron) il dit rien parce qu'il m'aime bien. Et c'est là que j'ai découvert un truc de frappadingue de la tête. Le truc que même dans mes rêves j'y aurai pas cru quoi. Y'a Baek Yael à Yonsei. Et il va dans le club de danse que je squatte. Putain rien que d'y repenser comme ça j'crois toujours pas à ma chatte quoi !

Comme j'ai trop envie d'en apprendre plus sur ses chorés (parce que j'les connais toutes par cœur), j'ai décidé de mettre à profit mon entraînement de super espion ninja et... Bah d'aller le stalker quoi. C'est pour ça qu'aujourd'hui, alors que je devrai être posé dans mon plumard à mater un super film (genre Hannah Montana ou un truc trop chouette comme ça), bah je suis planqué derrière la porte du studio de danse de la fac et j'observe en mode espion Yael en prenant des notes sur mon carnet Bob l’Éponge. 'Tain il est trop balèze, faut trop que je fasse des trucs comme ça moi aussi... Je fais une tête de lapin dans la marque quand soudain, la voix de Yael me sort de mon instant artistique. MERDE ! Cramé ! J'me redresse d'un coup en le voyant arriver vers moi, balance derrière moi mon cahier et réponds en mode impro totale :

« Ho.. HOOOOOOO ! Bah ça alors, Yael ! Mais QUELLE COINCIDENCE ! J'étais justement entrain de... de... de prendre des mesures de la salle. »

Je remarque mon stylo dans ma mains et le tends vers lui avec un sourire un peu bancal :

« Voilà, des mesures avec un.. un BIC. C'est pour savoir tu sais, combien de... de personnes on peut mettre dedans. Dans la salle hein, pas dans le BIC ! Enfin bref, qu'est ce que tu fais de beau ? »

Putain mais ce talent d'impro, j'en reviens pas à chaque fois tellement j'suis balèze et crédible.

Je me suis souvent dit que cette histoire de Youtube n’était peut-être pas une bonne idée. Ça ne me mènerait jamais nulle part, je ne pourrais jamais être reconnu. Ce n’était qu’un gage, à la base. Un gage qui, au final, eu le même effet qu’un feu de paille et en très peu de temps, je fus populaire. Pas au point de me vanter, loin de là. Encore aujourd’hui, je préfère rester à carreaux et ne parler de cette chaîne à personne, ou presque. J’y poste un peu moins régulièrement, mais mes followers me suivent tout de même de façon assidue. La personne qui me suit le plus est probablement celle qui se tient présentement devant moi, et elle me suit dans tous les sens du terme. Chungsu était de loin mon plus grand fan et depuis qu’il avait découvert ma présence à l’université, j’avais du mal à le tenir loin de ma personne. Pas que je ne l’aimais pas, hein. Au contraire. Il est extrêmement attachant, à une bouille mignonne, etc. Mais il est un peu… Comment dire. Envahissant.

Cet envahisseur silencieux avait d’ailleurs choisit le pire moment pour m’espionner. Je n’étais pas vraiment dans l’un de mes bons jours et Dieu seul savait à quel point je devenais susceptible. Les verts aussi le savaient, en fait. Mais jamais je n’avais pété les plombs contre le Gumiho et j’avais la nette impression que tout se déroulerait aujourd’hui. Mon sourcil s’arque légèrement lorsque qu’il se met à déblatérer une excuse et plus il parle, plus j’ai l’impression de le voir s’enfoncer. Le pire, c’est qu’il dit le tout sans même hésiter une seule seconde! Ce garçon serait un très bon atout pour l’équipe d’improvisation de l’université, mais ce n’était absolument pas le moment.

« Coïncidence, oui… Ce serait plus simple si tu entrais dans la salle pour prendre tes mesures, tu ne crois pas? »

Mon visage, jusqu’à maintenant vide d’expression, s’illumine d’un sourire angélique tandis que je glisse mon bras sous celui du renard, le tirant dans la dite salle de danse, entrant dans son petit jeu. Dès la porte passée, je le relâche, retournant dehors pour ramasser le petit cahier que j’avais vu voler avec un grâce telle que j’aurais pu en verser une larme, le lui ramenant, prenant d’ailleurs le loisir de refermer la porte derrière nous. Si je voulais qu’il se sente pris au piège? Peut-être un peu.

« J’essaie de monter une nouvelle chorégraphier, mais j’ai une panne d’inspiration. En quel honneur dois-tu savoir combien de personnes peut entrer dans cette salle? »

Pauvre enfant, si seulement il savait. La capacité maximale de la salle était inscrite non loin de la porte extérieure, tout comme les autres salles l’étaient. S’il ne prenait pas le temps d’aller vérifier, je me demande vraiment ce qu’il était venu faire, outre m’espionner.

« Tu veux un coup de main, mon lapin? »

Si j'avais envie de jouer? Peut-être un peu. J'allais le faire marcher et voir jusqu'où je pouvais l'emmener.

« Coïncidence, oui… Ce serait plus simple si tu entrais dans la salle pour prendre tes mesures, tu ne crois pas? »

Huumm... Ouais, il est fort putain. Il marque un point là, j'avais pas pensé à ce détail en montant mon excuse de la mort qui tue dans ma tête. Mais bon, je ne suis qu'un être humain après tout, même si j'ai l'air parfait (et que je le suis), PARFOIS j'ai des petits bugs dans le programme. Heureusement pour moi, j'ai une capacité d'adaptation encore plus balèze que celle du poulet qui se fait passer pour un renard quand il se retrouve dans la forêt (proverbe chinois...je crois). Du coup, je dis avec la plus grande assurance du monde, comme si c'était la vérité la plus réelle de l'univers :

« J'ai l’œil absolu, pas besoin d'entrer pour le savoir. J'ai juste besoin de... de mon BIC. Et c'est plus pour me tenir compagnie que pour réellement compter en fait. »

Voilà, trop fort putain, je mets même des sentiments en sous-entendant que mon BIC c'est mon meilleur ami et que je l'emmène partout avec moi... je pourrai être scénariste de drama j'en suis sûr. Je ferai un carton avec mes idées de ouf putain... En tout cas je sais pas si Yael crois à mon mytho, mais il a tout d'un coup un méga sourire et me fait entrer dans la salle en allant chercher mon cahier que j'ai jeté tout à l'heure. Puis il ferme la porte et là je me sens un peu mal parce que j'espère trop qu'il va pas ouvrir mon cahier, sinon il verra que j'adore dessiner des nouveaux Pokémons et la dernière fois que quelqu'un l'a vu, c'était IlSu et il se fout encore de ma gueule avec ça... Yael m'explique alors qu'il essaie de faire une nouvelle choré et qu'il est en panne d'inspi, puis me demande pourquoi je faisais mon petit calcul. Je me racle la gorge puis réponds en évitant un peu sa question de la fin :

« C'est... un projet pour une école d'archéologie d'Altlanta tu sais, la ville des romains sous la mer maintenant enfin bref, c'est pas important. Tu fais une choré pour une nouvelle vidéo ? C'est quoi la chanson ? J'ai pas reconnu quand j'te regar... quand je suis passé PAR HASARD tout à l'heure pour COMPTER. »

Whou, j'ai failli me griller tout seul là ! Heureusement que je suis un BG et que je me suis rattrapé rapido presto sinon il aurait pu comprendre que je le stalkais et j'ai pas envie qu'il aille voir la police pour porter plainte pour harcèlement... Sinon après on me mettra peut être en prison et les prisonniers ils voudront me faire des tatouages avec des aiguilles rouillées et je suis pas sûr que je suis vacciné contre le tétranos... Faut que je lui fasse penser à autre chose pour pas qu'il percute.

« Tu veux de l'aide ? »

Si je crois à ce que Chungsu me dit? Aucunement. Ce n’est pas la première fois que je le rencontre, heureusement, parce qu’il m’aurait encore plus fait flipper qu’en ce moment. Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois qu’il me croise, j’ai l’impression qu’il perd tout ses moyens. Vous savez, un peu comme un chien qui voit son maître et qui ne peut attendre que celui-ci ouvre la porte avant de lui sauter dessus? C’est ça. Chungsu est un chiot. Un chiot qui me suit comme mon ombre et duquel je ne peux me départir. « Atlantis » Je murmure un peu plus pour moi que pour le Gumiho, esquissant un léger sourire amusé. Le pire, c’est qu’il semble se croire dur comme fer. Sait-il qu’il fait face à un étudiant en art du spectacle? Jouer la comédie, c’est ma vie. Je sais reconnaître le vrai du faux et Chungsu sent le mensonge à un kilomètre à la ronde. Et puis, il se tire dans le pied lui-même, quoi. Je ne suis pas si idiot, je sais relever les informations qu’il me donne en tentant de les cacher. Je fais toutefois mine de ne pas l’avoir entendu, lui tournant le dos pour m’accroupir près du radio qui diffusait la musique un peu plus tôt, mon portable y étant branché.

« Mh.. Si tu veux m’aider, je ne dirai pas non. »

Yael, qu’est-ce que tu fiches? J’arque un sourcil, me surprenant moi-même. Des plans pour que Chungsu ne me lâche plus jamais et ce jusqu’à la fin de mes jours. J’ouvre toutefois mon téléphone pour mettre de nouveau la musique en marche, tournant la tête vers le Gumiho.

« C’est une chanson de The Weeknd. Comme il est populaire en ce moment, je me suis dit que c’était une bonne opportunité. »

Ça changeait surtout du style habituel dans lequel j’avais l’habitude de danser. Les fans aiment toujours la nouveauté. Je me redresse, marchant lentement au rythme de la musique, me retrouvant rapidement à la hauteur du Gumiho.

« Le rythme est assez lent, langoureux. Sensuel. Tu me montres ce que tu sais faire? Je sais que tu as vu le début de ma routine. »

Le confronter directement. Le déstabiliser. C’est peut-être ce que je voulais. Au fonde de moi, je me demandais surtout s’il pouvait vraiment m’aider. Si c’était le cas, je lui en serais bien entendu reconnaissant, mais il devait faire ses preuves.