tw; fille-mère, prostitution, précarité, accident de voiture

09.09.1999  Naissance à l'hôpital Sakai, à Osaka. Sa mère, Emi, n'est pas encore majeure. Pourtant, elle est seule dans la chambre, à tenir contre son sein l'enfant d'un homme qu'elle ne reverra jamais. Elle décide d'appeler la gamine Kaede. Le nom est réfléchi. Il fait référence aux érables. A leur couleur rouge. La teinte qu'ils prendront bientôt. Au sentiment de réconfort qu'Emi ressent en les observant. Le même sentiment que lorsqu'elle sert sa fille contre elle.
12.06.2005 L'appartement est petit et sombre. Il pue l'humidité. Kaede ne le supporte pas. Il est pire encore que le précédent ; dans celui-ci, elle n'a même pas de lit. Mais elle sait que sa maman n'a pas eu le choix. Elle l'a entendue pourtant. Elle l'a entendue supplier ses parents. Les choses qu'ont répondu ces derniers, Kaede ne les a pas comprises. Ce sont des mots que les enfants ne connaissent pas. Ne comprennent pas. Cet appartement, Kaede ne l'aime pas. Depuis qu'elles y vivent, maman n'est jamais là. Puis, quand elle est là, souvent, elle pleure ou elle boit. Cet appartement, Kaede ne l'aime vraiment pas.
31.01.2009 Maman sourit. Pour la première fois depuis si longtemps, maman souris. Elle a les bras chargés de courses et elle appelle sa fille ; ce soir, elles se font un festin. Le sourire de l'enfant est crispé. Elle ne peut s'empêcher de s'interroger ; qu'a dû faire sa mère pour se permettre une telle folie ? « T'aurais pas dû », qu'elle lui lâche. Le regard de la mère se voile, le sourire s'assombrit. « Dis pas de bêtises, viens manger. »
28.07.2009 L'air méfiant, Kaede observe les vêtements que lui tend sa mère. Elle n'a besoin de rien. Les sourcils se froncent, se font pour ainsi dire accusateurs. Alors, Emi lui explique ; ce soir, elles vont au restaurant. Il faut que Kaede soit bien habillée. La méfiance augmente. Emi ne lui laisse pas le choix. Aujourd'hui, elle rencontre Jeong In Ho. Le bienfaiteur de la famille. C'est en tout cas comme ça qu'Emi le présente.
12.11.2010 Elle a la haine, la môme, quand elle franchit le seuil de la maison de Jeong. A ses yeux d'enfant, tout lui paraît démesurément grand. Et dire qu'il y a des gens qui vivent dans ce luxe, dans cette opulence, pendant que d'autres crèvent la gueule ouverte. Pour la première fois de sa vie, Kaede a vraiment envie de hurler. Mais quand elle se retourne pour le faire, elle voit sa mère au bras de l'homme, rayonnante, un collier de perles autour du cou vient agrémenter le tailleur Chanel qu'il lui a payé. Kaede ravale sa haine. Au moins, sa mère a arrêté de pleurer.
27.09.2014 Le rictus est mauvais. Les papiers sont sur la place. S’attendaient-ils réellement à lui faire plaisir ? Et l’autre qui lui dit qu’à présent, elle est sa fille. Comme si elle avait besoin d’un père. « Je changerai pas mon nom. » et ce même si sa mère l’a trahie.
13.03.2015 C’est vrai, c’est pas la fille parfaite. Elle prétendrait pas le contraire. Elle sort. Elle picole. Des fois, elle fume. Elle fréquente des gens plus âgés qu’elle. Dans le regard de sa mère, elle lit l’inquiétude. C’est qu’elle avait son âge lorsqu’elle est tombée enceinte. Sauf que Kaede, elle compte pas être aussi sotte. A l’école, elle est douée. Avec un meilleur comportement, on lui prédirait un bel avenir. Elle compte bien se l’offrir, sans faire de concession. Et pour ça, elle aura pas besoin d’épouser un portefeuille sur patte.

Une bière en main, elle hausse un sourcil quand sonne son problème. Numéro inconnu. Pourtant, un mauvais pressentiment.

Le contenu de la canette finira répandu sur le sol tandis qu’elle se précipite vers l’hôpital de Séoul.
21.05.2015 Elle a souvent rêvé de rentrer au pays. Elle ne s’imaginait pas un jour rentrer seule. A l’aéroport, ce sont des travailleurs sociaux qui l’attendent. Pas ses grands-parents. La dame lui semble aimable mais elle lui adresse à peine un regard. La dame la rassure et Kaede retient une invitation au silence. Elle y peut rien, la dame, si Kaede a perdu sa mère. Elle y peut rien, la dame, si Kaede ne pourra jamais demander pardon.
25.12.2015 C’est à se demander pourquoi ses grands-parents ont accepté de récupérer sa garde. Ont-ils entendu parler de l’adoption, de l’héritage ? Kaede n’en sait rien. Ce qu’elle sait, c’est que ses grands-parents sont des enfoirés. Elle leur en voulait d’avoir abandonné sa mère. A présent, elle se rend compte qu’elles vivaient mieux sans eux. Sans leur froideur. Sans leurs méchancetés, leurs paroles blessantes. Sans leurs cris teintés d’alcool. Sans la puanteur qu’il règne dans la maison. Qu’importe, Kaede est plus souvent dehors que dedans de toute façon.
01.03.2017 Tokyo. La capitale. Personne ne s’attendait vraiment à ce qu’elle réussisse l’examen d’entrée à Todai. Encore moins qu’elle décroche une bourse au mérite. Et pourtant. Faut dire que ça fait deux ans qu’elle bûche. Elle sait ce qu’elle veut faire des années à venir ; sauver des vies. Les psys auraient sûrement des choses à en dire, mais c’est pas pour rien qu’elle refuse d’aller les voir. A la place, elle prétend que tout va bien. La médecine, c’est pour la thune. Tout comme son baito ; barmaid, ça paie bien, surtout quand on montre ses seins. Elle fait mine d’ignorer le compte en banque à son nom, celui-là même qui se débloquera à sa majorité.
09.09.2020 La voilà riche. Enfin, il paraît. Elle, elle vit toujours dans un studio miteux. Elle a pas l’intention de changer. En attendant, le compte en banque continue de gonfler au rythme des intérêts.
03.03.2022 Qui aurait cru qu’elle serait un jour retournée en Corée ? Et pourtant, elle ne peut s’empêcher de sourire une fois le pied à l’aéroport. Les sentiments sont pas les mêmes que la première fois. Elle l’avouera jamais à voix haute pourtant, elle a l’impression de rentrer à la maison. Jouant des différences entre les deux pays, Kaede entame sa résidence en neurochirurgie à l’hôpital de Séoul.

Déterminée. Elle en a dans le bide, la gonzesse. Personne ne saurait dire ce qui lui vaut ce caractère à tout épreuve, cette rage de vaincre même en l'absence d'ennemis. Pourtant, si elle le voulait, elle pourrait se reposer sur ses possessions, mais c'est pas son genre. L'ambition brûle en elle depuis aussi longtemps qu'elle puisse s'en souvenir. De toute façon, y a pas de raison qu'elle échoue. Sa valeur, elle la connait. Le syndrome de l'imposteur ? Très peu pour elle. La modestie, également. Pour quoi faire ? Elle se sait belle. Elle se sait brillante. Elle se sait forte. Alors, elle prend la place qu'elle pense lui être due. C'est pas qu'elle écrase les autres, c'est qu'elle le voit pas forcément, sinon bien sûr qu'elle leur tendrait la main. Un poil égocentrique et pourtant pas une once de méchanceté. Sauf quand on la cherche. Il en faut pas beaucoup pour la faire sortir de ses gonds. Langue de vipère s'il le faut, elle sait où frapper, au propre comme au figuré. Hélas, cela s'accompagne d'un instinct de survie en carton. Elle s'attaquerait à un gorille à mains nues s'il avait le malheur de mal la regarder.